26 février 2025

La Chiâle.

Des auteurices qui creusent, qui explorent, qui tentent des trucs ; et à la fin ça donne des bouquins qui nous emportent, et à la fin ça nous rend peut-être un peu moins con et un peu plus vivant, et à la fin tout le monde y gagne, et...  Attendez une minute...
Hmmm... J'avais pourtant pas envie d'insulter Christelle Morançais en débutant ce post, flûte.


Je n'ai toujours pas trouvé les mots adéquats s'agissant de La Chiâle, de Claire Braud, paru chez Dupuis l'an passé.

C'est un bouquin pour lequel plein de gens parleront d'expérience de lecture intense, ou exigeante, ou profondément marquante, sans savoir vraiment quoi en faire, ni vraiment pouvoir s'en tenir à ça sans aller à essayer de préciser des trucs et... forcément ça sera réducteur, ou à côté ; ce sera en tous les cas très probablement dommage.
Parce que la bande dessinée n'est pas un truc forcément pitchable : ça n'est pas parce que le sujet, que la trame du scénario l'est, qu'on pourra prendre la pleine mesure de "la réussite" de l'œuvre. On soustrait trop de trucs quand on s'essaie à résumer un livre de bande dessinée. On ne devrait pas. On ne devrait pas résumer La Chiâle : le bouquin mérite juste qu'on le lise, tout simplement.

 
Dans ce livre, elle creuse une matière pour le moins compliquée à formaliser sous une forme plastique censée suivre une narration : l'un des premiers trucs remarquables pour y arriver, c'est donc de se débarasser de certaines choses, dont la linéarité graduelle d'un récit classique. On a aucune idée du temps que prend ce récit pour se dérouler ; on a des indices, des informations, des balises, remarquables ou pas, et on fait ce que l'on veut en tant que lecteurice, sciemment ou non. On peut saisir le propos et suivre cette histoire sans pour autant remarquer cette absence. C'est l'un des nombreux signes de la réussite du projet, qui revêt bien des formes ici.

Le titre survole le tout : oui, il sera question ici de tristesse, de dépit, d'impuissance, de chagrin, de doute, de colère. Il sera question de déluge de larmes, de vannes ouvertes, de failles qui s'agrandissent.
La Chiâle gratte dans l'incongru, dans l'absurde, dans l'insoutenable de nos existences, et l'exprime avec panache : c'est pas parce que partout, tout le temps, se trouvent toutes les raisons du monde de s'écrouler, qu'il ne faut pas le faire dans un livre dynamique, au trait enjoué, dans cette urgence de l'expression qui n'a que rarement été au service d'un sujet aussi idéal.

Le grotesque et l'hilarité cohabitent avec la fragilité et le chagrin sans fin. Avec une lucidité dingue, et sans jamais flirter avec le pathos. Tu parles d'un autre exploit.

Il y en a plusieurs autres, mais il faut lire le livre pour se faire une idée un peu plus juste.

Claire Braud était déjà une autrice remarquable (en finalement très peu de bouquins), mais là elle vient de produire un sacré truc.
En tout cas, La Chiâle est clairement l'un de mes bouquins préférés de 2024.

ps : ça m'a remis ce titre en tête, tiens donc.

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