KILL YOUR IDOLS, AND SIT ON YOUR MATERIALISM.
Pendant l'une de mes nombreuses périodes sans maison (plus communément appelées également "tiens, voila June-le-squatteur-et-son-sac-a-dos"...), j'ai eu l'occasion de faire tout ce qu'une personne stupide peut faire d'une magnifique collection de disques vynils "d'époque", à savoir les laisser dans un garage, pas forcément super isolé, entre une machine à laver et un carton de bouquins, merci frangin pour l'espace mis à disposition.
Au pire, me disais-je, je raménerais quelques araignées dans ma nouvelle demeure, au passage ; et puis, rien ni personne viendra les faire chier, ces bons disques, dans ce coin paumé...
Perdu, tout faux.
Un beau jour, j'ai retrouvé quelques uns de mes plus fiers bacs de skeuds (ben ouais, si tu crois que j'ai de quoi me payer des flight cases cadenassés, tout propres, pour tous mes disques, ben nan, hein) avec au moins 8 centimètres de flotte au fond, du joli, quoi.
Résultat : quelques dizaines (centaines ?) de disques aux pochettes bousillées, dégueues, puantes, et le plus important, les disques eux-mêmes, complètement crades, forcément altérés par ce bain forcé dans une eau froide... Le nettoyage m'aura pris des semaines (on lave pas un disque comme on lave sa voiture, hein), et au final, si j'ai réussi à sauver quelques disques (les préparations de nettoyage des spécialistes west-coast auront fait leurs preuves ces semaines-ci), leurs pochettes, elles, ne sont plus qu'un joli souvenir, pour la plupart.
Bon, quand même, les vieilleries du genre CTI, Atlantic, Impulse et autre Cadet, elles étaient bien au chaud dans une caisse plus "douillette" que les autres, on a tous nos petits chouchous ; mais quand même, y'a eu du dégât, et de la douleur au ventre, au coeur, un peu partout en fait.
La collectionnite pour la spéculation et la côte, elle, je m'en branle, je l'ai soignée depuis bien longtemps.
Par contre, l'attachement à certaines pochettes, objets soignés, précieux, témoins d'une époque ou toute révolution graphique était affaire de minutie et de démarche jusqu'auboutiste, pochettes aux contours taillés dans des cartons dignes, lourds et épais, couvertures au pelliculage usé par les nombreuses mains d'amateurs de tout poil ayant eu la chance de les faire transiter, enveloppes de papier aux impressions lourdes, d'un temps ou "le marché du disque" ne faisait pas encore d'économie sur un packaging peu orthodoxe...
Cet attachement, s'il est venu sur le tard, et de manière quasi-viscérale, n'est qu'un de ces nombreux témoignages de mes trop nombreuses névroses, je crois... Putain, voilà, dès que c'est vieux, dès que ca a une histoire, que c'est passé par 15 paires de mains, ca me parle, l'objet me regarde et me parle... Qui l'avait acheté ? Ou ca ? Auprès de quel disquaire passionné, dans quelle boutique spécialisée ? Que trimballe cette sous-pochette intèrieure, hormis une tonne de saloperies et de poussières de toutes sortes ? De quels actes manqués, de quelles jolies histoires ces bouts de cartons avaient-ils été les témoins ?
Et puis, les disques... Quel bonheur d'etre toujours surpris, à chaque audition, par telle ou telle note, replaquée de cette manière là, c'est vrai, j'avais oublié... Quelle satisfaction de poser le disque pour la première fois sur la platine, de laisser parler le sillon, et de se prendre en stéréo et en pleine tronche un putain de souffleur ou un putain de batteur, de se prendre la voix d'une Minnie Riperton ou des New Birth, de se retrouver nez à nez avec l'énorme mélodica de Doug Hammond... Et puis, merde, j'ai cogné le skeud comme une grosse merde que je suis, j'aurais mieux fait de regarder ce que je faisais en changeant de face, plutot que de te parler, chier !
Si ces disques sont de jolis poèmes pour les oreilles et sont aussi de solides détergents contre les tracas qui polluent l'âme, certaines de leurs pochettes étaient des oasis pour les yeux. Pour les miens, en tout cas, et si l'on oublie l'immonde pochette qui confirme la régle...
Ce qui m'a fait le plus mal au cul, c'est aussi que certains skeuds ne m'appartenaient meme pas, mais restent la propriété d'un mec réellement cool dont j'ai perdu le contact il y a déjà 4 ou 5 ans, et que j'avais briévement cotoyé lors d'une courte expérience professionnelle parisienne ; je me suis retrouvé avec ces skeuds, et quand fut venu le moment de m'arracher de paname, le mec etait ingaulable. Pendant de longues semaines. Les skeuds, je les ai gardé, bien au chaud.
Mec, d'ailleurs, si tu lis ces mots, tu sais qui tu es, tu me fais signe, tes disques sont là (il en reste la plupart, ne te soucie pas trop), et n'attendent que toi... Arrière, chacals ! 8)
Bref.
Parce que je n'arrivais pas a jeter ces pochettes humides (pour ne pas dire trempées), qui commencaient à germer de tous les cotés, et qui abritaient probablement un début de vie, même microscopique (l'odeur en témoignait...), Drine m'y a gentiment poussé.
C'est vrai qu'il y avait un carton de pochettes irrécupérables, qui moisissaient sous un meuble, c'était pas très sympa-sympa...
"Et puis, si tu ne peux pas les récupèrer maintenant, autant t'en débarrasser, Ju...
- Ouais, mais putain, brunette, ca me fait chiiiiieeeeeeer...
- Oui je sais, mais c'est pas de les voir de faire de l'oeil dans un carton dégueu, toutes froissées et délavées, qui va donner du coeur à l'ouvrage... Jette-les donc...
- Arghhhh mais Drinette, tu sais pas ce que tu dis..."
Lors d'un de ces dimanches après-midi bien dégueulasses, où le froid invite l'homme à célébrer sa petitesse, je sus que le moment était venu.
J'ai pris le carton de ces nombreuses pochettes foutues, pourries, et d'une marche solennelle, j'ai pris le chemin de la maison abandonnée, juste en face de chez moi ; ce qui, dans une métropole quelconque, aurait fait un très sympathique squatt, fut le théatre d'une étrange cérémonie, ce jour là.
J'ai fait un gros feu pour en finir avec ces pochettes bousillées d'Art Blakey, de Jimmy Smith ou des Temptations, de Sonny Rollins ou du MJQ, de Herbie ou encore de Bobby Womack.
C'était pathétique et ca ne servait à rien, les énormes poubelles étaient sorties, au bas de chez moi, j'aurais pu poser le carton là, et tâcher de ne plus y penser.
Au lieu de ca, je suis resté à alimenter le feu avec ces pochettes, de moins en moins nombreuses de par le monde, et j'ai regardé les couleurs d'une pochette de Coltrane se mélanger avec celle de Weldon Irvine, dans un crépitement vraiment pas agréable à entendre.
La fumée était âcre, et les yeux me piquaient.
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