Les divers décideurs du label Blue Note ont souvent fait preuve d'un énorme flair ou, plus récemment et plus simplement, d'un opportunisme assez bluffant.
Sur les diverses signatures de ces dernières années, et sur la foule de disques très dispensables estampillés Blue Note parus chez eux, peu de surprises qui valaient réellement la peine, et chez les newcomers, pas mal d'artistes ont eu du mal à passer le cap du (des) premier(s) disque(s) une fois arrivés dans la glorieuse maison.
Bon, faut pas déconner non plus, il y a eu beaucoup de bonnes choses par le passé, mais également pas mal de disques que tout le monde aura oublié, et pour cause.
Parmi la foulitude de bonnes nouvelles discographiques de ces dernières semaines, l'une d'entre elles connaitra t'elle le meme sort que ses prédecesseurs ?
Marc Moulin, puisque c'est de lui qu'il s'agit, revient encore sur le devant de la scène... Et pas sur les planches du théatre, sur lesquelles il s'est apparemment focalisé ces dernières années si j'en crois les rumeurs les plus étonnantes qui courent à son sujet...
Non, Blue Note, après avoir offert de nouveaux horizons au pianiste belge, qui avait sorti pour l'occasion un disque qui m'avait laissé plus que sceptique (orienté house-dans-l'air-du-temps, pas original pour un sou, assez easy et très décevant), ressort l'un des efforts les plus remarquables du monsieur, "Sam Suffy".
Marc Moulin est un musicien/producteur dont le nom reste encore bien trop dans l'ombre, alors que sa carrière est absolument exemplaire.
Au début des années 60, Moulin baigne dans la scène jazz européenne de l'époque ; ll se trouve qu'à cette période, pas mal d'énormes jazzmen ricains résident en France, entre autres, après avoir tourné quelques années plus tôt. Forcément, le mélange des influences, des méthodes de jeu, auront tôt fait de donner une sauce particulière représentative de l'époque, qui poussera Moulin à former sa première formation en 61, ce qui l'amènera à gagner quelques prix dans les festoches jazz alentour, puis à rejoindre le saxo Alex Scorrier, puis le guitariste Philippe Catherine.
A la fin des 60's, l'expérimentation motive Moulin et Catherine, qui, dans le grand raoult jazz/rock/funk du moment, s'intèressent de plus en plus aux avancées technologiques déjà utilisées notamment par Miles Davis, Joe Zawinul ou Herbie, donc.
Le style dénommé "fusion" qui point le bout de son nez à cette période arrose tout le spectre musical de l'époque, et Moulin se distingue alors par son utilisation étonnamment progressiste des instruments électroniques (des synthétiseurs en particulier), par son travail de mix final, par son utilisation quasi-outrancière de l'overdub... On imagine les sessions studio entre rats de laboratoire, complètement extatiques derrière d'énormes consoles pleines de vu-mètres... 8)
Moulin achète un Wurlitzer, et fonde en 1971 le groupe Placebo ; non, pas les pseudo-glam androgynes anglais de nos tristes années, mais bien le Placebo original, une formation jazz à tendance heavy funk et surtout trèèèèèèès électronique, complètement renversante pour l'époque.
Nic Fissette, Richard Rousselet (deux fabuleux trompettistes totalement en harmonie), Johnny Dover (sax bariton, flute, percus), Nicolas Kletchwowsky (à la lourde basse électrique), Freddy Rottier (qui joue de la batterie comme on joue de la MPC3000 ces jours-ci) rejoignent Alex Scorier (sax tenor et soprano) et Marc Moulin (claviers) et sortent en 1972 "Balls of eyes", remportantau passage un prix a Montreux 1972 ; ca ressemble à du Hancock ou à du Miles de l'époque, et certains y ont même remarqué des similitudes avec les travaux de Georges Duke ou même de David Axelrod, niveau arrangements. Ca a le gout des malades américains, ca sonne comme les malades américains, mais ce ne sont pas des malades américains ; c'est du Canada Dr.. Ah merde, pardon.
En 1973, j'imagine bien Moulin et ses potes prendre quelques acides de manière régulière, tant l'univers qui ressort de l'écoute de leur album "1973" semble abstrait, barré, et beaucoup plus expérimental. Par moment, Miles est convoqué, période Gil Evans, ca sent l'intrumentation élargie à son maximum, mais dans l'ensemble, on reste dans une suite funk-rock terriblement bien mixée et bien produite ; Moulin est derrière une montagne de circuits électroniques, ca bouge dans tous les sens, ca fait des étincelles, ca chauffe et ca fond parfois aussi... Le tri est à faire, mais il reste au final quelques putains de petites pépites slow-funk ou electro-ill boogie, la Belgique, c'est sensass, y'a pas à tortiller du cul.
Quelque temps plus tard, et dans une veine encore plus barrée, Moulin, alors complètement chaud-bouillant, rejoint Bruno Castellucci et Richard Rousselet, et forme avec ces sacrés zozos le trio expérimental Sam Suffy, qui navigue résolument en terres de musique concrète ; néammoins, l'électronique, plus que la répetition ou la conceptualisation de la musique, l'appelle plus encore, et après quelques "derniers" concerts en 1976, il se lance dans une carrière qui répondra davantage à ses exigences technologiques en formant avec Dan Lacksamn et Michel Moers le mythique groupe Telex, qu'on pourrait comparer à Kraftwerk écoutant Georges Clinton, le tout dans un club avec des caissons de basse énormes dispatchés sous le dance-floor... Bon, ok, tentative hasardeuse. Telex, c'est de l'électro groovissime encore un peu congelée, avant l'heure.
Telex auront laissé quelques galettes surprenantes derrière eux, notamment le hit "Moscow Disko", et seront évidement reconnus comme étant un groupe séminal par des artistes aussi variés que Juan Atkins, Patrick Pulsinger, Ian O'Brien ou Derrick May, ca rigole pas.
Blue Note ressort donc "Sam Suffy", après sa sortie originale chez CBS Belgique...
Il faut donc aller l'acheter, et surtout se procurer n'importe quel enregristrement parmi "Jazz goes swimming", (par le St Tropez Jazz Octet, sorti en 1969), "Balls of eyes" (Placebo, sorti en 1971 chez CBS/Belgium), "Streams" (par le Philippe Catherine Quartet, sorti en 1972 chez Warner France), "1973" (Placebo, sorti en 1973 chez CBS/Belgium), "September Man" (par le Philip Catherine Quartet, sorti en 1973 chez Atlantic France), "Placebo" (par Placebo, sorti en 1974 chez Harvest), "Viva Boma" (par Cos, sorti en 1976 chez IBC Belgium), puis "Looking for St-Tropez" (par Telex, sorti en 1978 chez JM2), "Neurovision" (par Telex, sorti en 1980 chez JM2), puis éventuellement, pour le fun, "Sex, birds and bees" (par Telex, sorti en 1981 chez JM2), "Wonderful world" (par Telex, sorti en 1984 chez JM2), "Looney tunes" (par Telex, sorti en 1986 chez JM2) ; Marc Moulin signa également deux albums plus dispensables sous son nom propre, "Picnic" (1986, Magic Belgium) et "Message" (1992, JM2). Une très sympathique compilation est sortie chez Counterpoint il y a 6 ou 7 ans.
La prochaine fois je vous parlerais de Jacques Brel. Non, j'déconne.
ON AIR on RadioJune :
- Cut Chemist "the limus test" ; une grosse demi-heure foutraque de breaks grillés ou inédits, de mix tordus, d'audaces diverses (ah, la reprise de l'intro de Rotary Connection passée à la moulinette du gros barbu...), bref, un mix classic break/hip hop de toute beauté.
- Charles Mingus "Ecclusiastics", 6:55 de pur bonheur made in 1972 (grande année, arf arf), Mingus tabasse son piano et grogne dans le mic, avec Roland Kirk qui répond comme un furieux, ah bordel ca pue l'esprit de l'église (Mingus a écrit ce morceau en souvenir de son enfance passée à l'église méthodiste), c'est très bluesy, mais bordel, il y a une putain de présence sur ce morceau... (sur l'album "Oh Yeah", Atlantic).
- le nouveau Medaphoar est très réussi aussi ; rien de très original sur ce coup, mais un Madlib très bon aux prods et c'est parti pour une superbe tranche de hip hop très twisted summertime. Il sort tout bientot je crois, et il vaut l'oreille.
- Diplo "Big lost (Mooonkey see, mooonkey do rework)" ; Monkey mettant des grandes claques mid-tempoesques très vocales dans la gueule de Diplo, ben ca me détend, moi. 8) C'est pas sorti, ca sortira d'ailleurs pas, mais l'original, déjà très bien, est sur l'album de Diplo, "florida", paru chez Big Dada.
- Wax Tailor "Que sera", titre monté sur le "And he will not come again" du grand Galt Mac Dermot, et plutot pas mal. C'est sorti chez Lab'oratoire, et c'est plutot sympa ma foi.
- le meilleur pour la fin, avec One Self : eh ben voilà, depuis le temps que le sieur Vadim méritait son "hit", je crois bien que le moment est venu ; c'est soulissime, c'est très très propre, on est plus dans le trip hip hop instru avec les méthodes Vadim classiques ; dans ce nouveau projet, toute la troupe (Yarah Bravo et Blu-Rum 13 aux mics, John Ellis aux claviers, Woody aux 1200's, et bien d'autres...) est responsable d'une très bonne surprise, et c'est tant mieux.
O.U.T.
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