12 juillet 2010

Je suis un vieux con.

Coincé quelque part au nord des USA, en 1994, j'ai presque inconsciemment passé six semaines à lire l'intégralité du bac "en solde" du comic shop où j'avais déjà pris mes habitudes de type fauché. Les types qui tenaient ce truc à tendance très mainstream (et qui puait le moisi et le Teen Spirit) étaient d'affreux nerds cons et déjà conservateurs, mais je rigolais bien en essayant de leur expliquer qu'Adrian Tomine, ca n'était pas que de "la bande dessinée pour tapette" (traduction approximative et encore assez censurée), qu'il ne fallait pas qu'ils oublient de me commander un exemplaire du second numéro de Stray Bullets, et que Black Hole n'était pas un truc de cul.

Alors qu'un jour, j'essayais de les dissuader de me vendre je ne sais quel Green Lantern ("mate cette gatefold cover, mec !"), un vieux client revenu de tout, avec la tronche qui va avec, bien rongé par la came, la bibine, ou l'âpreté du temps qui passe (ou les trois) décida qu'il était temps pour moi d'être initié aux vrais œuvres majeures de la bande dessinée.

Le type était un vrai passionné (et un vieil aigri), collectionnant les comics depuis des décennies, et éminemment respecté par l'essentiel des clerks du magasin, simplement parce qu'il avait déménagé trois fois dans le même quartier, pour avoir à chaque fois davantage d'espace à offrir à sa collection.
Alors que j'avais déjà dit tout le bien que je pensais de vieilles rééditions dispos au magasin (et échangé maintes et maintes fois avec tous ces gens au sujet de Ware, Crumb, ou Herriman), le type me dit sur un ton presque solennel :
"Tu vois, petit (j'avais 22 ans mais j'en faisais 16, je suppose...), la vraie première révolution en bande dessinée vient de Crumb, enfin pas que de lui, enfin si, mais non. Pas simplement Crumb. C'est Pekar qui a réellement stimulé Crumb à apporter ce qui fait la vraie vie dans le comics. Tous tes auteurs qui parlent de branlette ou de chagrin d'amour, là. Eh ben ils sont pas issus d'une génération spontanée, faut pas croire, ce ne sont pas forcément des génies, hein. Non, ils ont lu Pekar. Ouais, Pekar, ce vieux Pekar, dont tout le monde se branle. On retiendra le nom de Crumb et c'est normal, mais on devrait tout aussi bien se souvenir que Pekar est encore vivant, parce qu'il ne devrait pas durer encore très longtemps... "

15 ans plus tard, je suis libraire au chômage, j'ai raté la sortie de l'anthologie paru l'année dernière chez Cà et Là (à lire absolument), et hier soir, Harvey Pekar est mort.
Je repense à mes après-midi sur le gazon du parc jouxtant le comic-shop, à mâcher des Twizzlers en lisant American Splendor, sous le soleil du Dakota du Nord.



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