1 septembre 2015

Un demi-siècle sans voir le jour.

Alors que je fais du tri et du rangement et des tonnes de cartons, je choisis un autre disque pour m'accompagner dans la tâche. J'ôte donc de son cellophane un disque trouvé lors de mon escapade ricaine estivale ; ces choses-là arrivent, comme qui dirait.

Il s'agit d'un disque paru en 1966, il n'y en a eu aucune réédition et on le trouve facilement d'occasion ici ou là, pour pas très cher. Cette copie neuve et encore scellée ne m'a même pas coûté beaucoup plus qu'un quelconque disque neuf sorti récemment. Je l'ai trouvé lors de ma dernière session de claquage de tunes, à fouiner chez Hymies Vintage Records aux côtés de Mathieu, pendant que les copains Antoine, Pierre, Dom discutaient de PFC5 en buvant un coup à une table au milieu du shop. Ce jour là, j'avais mal au genou, j'étais fatigué, PFC et Autoptic venaient de se terminer et notre départ approchait. Je ne savais pas -et je ne sais toujours pas- quand je foutrais les pieds à nouveau dans ce lieu vraiment super classe, en plus d'être diablement riche en inspiration. Plaisir parasité par l'urgence d'en profiter, au max, quoi.

C'était un drôle de trip, c'était un drôle de mois passé aux USA, pour plein de raisons. Je vais essayer de garder ces moments en tête : ce jour là, je suis rentré à pied du magasin, avec une trentaine de disques sous le bras.
Sous le soleil plombant de Lake Street East, je prenais le temps de regarder où j'étais, où je déambulais, à commenter intérieurement les choix de vie que j'ai fait et qui me mènent à vivre ce genre de moments, pour le meilleur comme pour le pire. Passer quatre heures dans un magasin de disques (et quel disquaire !), c'est clairement l'une des choses que je préfère faire pour me vider la tête. Ce jour là, ça avait relativement bien réussi. Exténué avant même de quitter le shop, j'optais malgré tout pour le retour à pied, pour profiter un peu du coin, que je ne connaissais pas, quitte à rentrer sur les rotules (ou les ménisques...). Ça n'a pas manqué, et si l'idée de tenter des raccourcis par certains quartiers déconseillés semble rétrospectivement un peu conne, je suis tout de même arrivé à retrouver le campus ; plié en deux mais heureux, parce que j'avais passé un moment important et que j'avais pécho un Ray Bryant flambant neuf pour pas grand chose. Il y avait de quoi se réjouir, après tout.

Aujourd'hui, en coupant le cellophane, en extirpant le disque de sa sous-pochette, je réalise que ça fait cinquante ans que ce disque est dans cette pochette, précisément, sans en être jamais sorti. Qui est le type qui aura vu ce disque avant moi, à l'usine qui pressait les disques des labels Chess ou Cadet ? Est-il seulement encore de ce monde ?
Le coupon de demande d'informations jeté dans la pochette, une odeur étonnamment neutre pour un disque de cette époque (la surpochette cellophanée a bien joué son rôle pendant tout ce temps), l'impression de poser mes doigts là où il ne faut pas, mazette, quelle somme de petites expériences : eh, s'agit de prendre soin de ce disque, devenu malgré lui un beau, très beau souvenir de cette virée ricaine.
Il s'est probablement promené dans bien des cartons, d'un entrepôt à un autre, peut-être d'un magasin ou d'une étagère à un autre, changeant occasionnellement de propriétaire sans jamais atterrir quelque part "pour de bon".
En tout cas, désormais, il va passer un bout de sa vie à mes côtés ; enfin j'espère.




Allez, je retourne à ma rude tâche, celle de trier les témoignages matériels, physiques, tangibles et spatiophages accumulés durant... Quelques décennies. Un peu moins de temps que le temps que ce disque aura passé dans l'ombre, mais tout de même.

A vite, ici ou ailleurs, on verra bien.

ps : j'attaque la seconde face, ce disque, en plus d'être un bon Ray Bryant, est en super, super état. Je suis ravi. Olé !

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