1 avril 2020

On fera du yoga jusqu'en enfer.

"Jour 12 ou 13, j'ai perdu le compte. Je sais en revanche qu'une peur chasse l'autre. Maintenant, je crains moins le virus que notre normalité. Les premiers temps, je m'étais pris à croire que la catastrophe aurait du bon. Enfin, nous saurions collectivement, par la chair et l'esprit, combien notre fonctionnement est condamné. Car en comparaison des désordres que nous promet notre nouveau climat, cette épidémie fait figure de pschitt bénin. Depuis dix ans facile, les scientifiques le rabâchent. Absolument tous les chiffres sont sur la table. C'est la merde majuscule. Notre civilisation ressemble à une chute de dominos et l'idéologie de nos princes est vouée au déni, aux ajournements répétés, car dans l'oeil du manager, l'horizon est à six mois, l'indicateur forcément économique, les seules améliorations sémantiques. Après le développement durable et la croissance verte, on nous servira bientôt de la résilience démocratique, de la performance humaniste, du statu quo de progrès, des grands soirs libéraux, une finance conscientisée. Notre époque se paie d'oxymores, elle cache son cadavre à venir sous un déluge d'en même temps. J'espérais que ce moment fairait brèche dans l'opacité de ce verbiage. J'imaginais un réveil en sursaut, comme en plein cauchemar. Quedal. Dans les palais, ça cause toujours com, ça tactique, ça louvoie. Chez les enfants gâtés, on fait comme d'hab, on transforme chaque minute en occasion de jouir. Les drames sont définitivement solubles dans le lifestyle. L'exhibition des desserts et la course au bonheur se poursuivent peinard. On fera du yoga jusqu'en enfer. Et partout cette idéologie des optimistes, qui sacrifieront jusqu'au bout la difficulté des faits à leur devoir de félicité. Ah oui, nous aurons été contents, ravis comme à la crèche et chaque cataclysme nous trouvera plus démunis, nos armoires pleines et le cerveau vide. Des historiens se pencheront un jour sur nos psychopathologies fin de siècle. Ils diront ces gens n'auraient pas sacrifié une minute de joie pour sauver leur monde."

Nicolas Mathieu, sur sa page instagram, fin mars 2020.



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