5 février 2013

Académie = Jury = Caca ≠ Willem.

Je suis dans le train qui me fait traverser notre beau pays d'ouest en est, et je n'ai aucune envie de travailler, traînant avec moi un peu de cette persistance angoumoisine : sans parler un seul moment de l'ensemble de propositions émanant du festoche, j'ai passé de très très beaux moments, riches en belles rencontre, en magnifiques confirmations, en bons moments passés en toute simplicité dans l'ombre des puissances industrielles qui n'ont pourtant pas manqué d'essayer de nous faire prendre de la lessive pour des antennes. J'ai raté quelques unes des grandes lignes "événementielles" du festoche : j'ai vu l'expo des flamands (qui claquait), j'ai vu l'expo de Jano trop rapidement, j'ai bouffé du OFF et fait une rencontre (pas pu assister à celle de Paul Gravett sur Kirby : 55 places, pour trois fois plus de demandes...) mais à part ça... Bon, j'ai claqué des sous au OFF (incroyable cette année : probablement le meilleur OFF vécu à Angoulême pour ma part) et sous la bulnouyork, mais ça c'est à chaque fois.

Et ce matin, je constate que ce petit monde de la bande dessinée grogne, râle, se plaint : avoir choisi Willem comme grand prix de cette 40ème édition semble donc être du foutage de gueule (je reste dans les termes polis lus ici et là) : d'après certains d'entre eux, Willem est ce type qui fait du dessin de presse, pas de la bande dessinée.
Drôle de retombée d'après-festoche ! Déjà l'arrivée sous les auspices d'un festoche voyant Pénélope Bagieu décorée Chevalier des Arts et des Lettres, ça sentait moyennement bon... Bon.



J'avoue ne plus comprendre mes contemporains : s'il s'agit de critiquer le mode d'attribution du prix, ou s'il s'agit de dire qu'on lui préfère l'un ou l'autre des autres "candidats finaux", je puis éventuellement comprendre, et puis les remises de prix, les élections, c'est fait pour qu'on les commente, minimum. Visiblement, les auteurs ont élu 5 auteurs, et Willem n'était pas celui qui avait récolté le plus de suffrages : les membres de l'académie ignoraient le boulot de certains auteurs, ce qui n'est guère étonnant. Scandaleux, par contre, ça l'est pas mal...

Mais contester Willem comme président d'un festival de bande dessinée en prétextant qu'il n'en fait pas (ou peu), c'est tout simplement lamentable.
D'abord parce que Willem a signé quelques unes des plus belles pages de ce qui peut être étiqueté comme "de la bande dessinée" ; la bibliographie du bonhomme, uniquement dans le champ de la bande dessinée, est méchamment conséquente, mais je pense surtout au 30x40 publié il y a une grosse vingtaine d'années chez Futuropolis (l'original), livre qui m'a considérablement marqué, tant sur le fond (une critique -en forme de salade de baffes dans la gueule- de la marche de notre monde, qui passe par une énumération graphique des plus gros enculés que notre belle société humaine ait connu) que sur la forme (un gigantesque jeu de piste narratif construit autour d'une galerie de portraits et de hauts-faits -et de moments moins connus).

Ensuite, parce que les petits canaillous et autres réacs qui hurlent au scandale de voir un type surtout connu comme dessinateur de presse et satiriste érigé soudainement comme maître de la bande dessinée sont à peu près les mêmes que ceux qui n'en finissent plus de vouloir faire rentrer le numérique comme forme légitime de l'ensemble de ce qui constituerait la bande dessinée. On apprend donc que l'on englobe à peu près ce que l'on veut dans le petit monde de la bayday, selon de quel champ on se sent le plus proche. Ok ok ok.

J'en viens donc à préciser mon point de vue : cette compétition (qui comme les compétitions n'a finalement ni queue ni tête : quel classement à jamais arrangé la marche du monde ?) a donné Willem vainqueur devant des monstres comme Otomo, Ware ou Alan Moore : autant d'auteurs qui sont (ou ont été) éminemment importants dans mon parcours de lecteur, mais tout comme Willem, mais de manière différente... Je ne suis pas particulièrement amateur de Toriyama mais je veux bien tout entendre au sujet de son importance en tant qu'auteur, ne connaissant que peu de choses du bonhomme.
Là où je veux en venir : Moore est essentiellement reconnu comme scénariste ; ses rares contributions à la bande dessinée en tant que dessinateur sont trop peu marquantes pour qu'on les retienne dans ce qui aurait motivé son prix (attation, cela ne fait pas de lui quelqu'un de non légitime -à mes yeux en tout cas-, mais c'est probablement trop peu pour tous ceux pour qui "le dessin est plus important que le reste", et ils sont nombreux).
Otomo, lui, est essentiellement reconnu pour UNE œuvre essentielle qui aura marqué à jamais un pan de l'histoire de la bande dessinée, certes, mais qui masque largement ses autres réalisations.
Chris Ware, enfin, me semble être le seul à pouvoir être envisagé comme aussi important dans ce qu'il aura pu apporter : inventeur et faiseur virtuose, formidable analyste de sa propre existence, toute sa bibliographie témoigne d'une volonté de toujours aller de l'avant. On tient là un vrai progressiste, et les quelques œuvres-balises laissés derrière lui parlent pour lui : entre le Jimmy Corrigan d'il y a déjà quelques années et le plus récent Building Stories, difficile de ne pas voir là l'importance du bonhomme dans l'histoire de la bande dessinée.
Quand à Toriyama, pour les raisons évoquées plus haut, et même si j'ai trouvé des qualités à Dr Slump ou aux débuts de Dragon Ball (dans un registre fantaisiste, le bonhomme a considérablement fait preuve d'imagination, il faut le reconnaître), j'ai du mal à comprendre sa présence dans la sélection finale.
Je le répète pour que ça soit clair : je suis à genoux devant Chris Ware, Otomo m'a marqué à vie, Moore aussi, lui qui est probablement mon scénariste favori. Bon bon bon.
Mais donc, Willem, pas les autres. Ouais ouais ouais.
Lorsque je pense au nombre d'œuvres obscures mais essentielles que le vieux moustachu m'a permis de découvrir via ses nombreuses pages de critique/conseil publiées dans la presse ici ou là au fil des années (et jusqu'à il y a quelques mois encore !), je me dis qu'il n'y a pas de crainte à avoir sur ce que le vieil hollandais saura imaginer pour la programmation de l'an prochain.
Lorsque je songe à sa production complètement folle, outre le 30x40 cité plus haut (et son cadet paru tout récemment, que je n'ai pas encore eu le plaisir de lire), je pense évidemment à Libé, mais je pense aussi aux nombreux ouvrages publiés par Cornélius ou les Requins Marteaux, qui ont depuis longtemps saisi l'importance du bonhomme : on tient là des éditeurs tournés principalement sur la bande dessinée qui ont ouvert grand les portes de leurs catalogues à un auteur qui n'aurait rien à y foutre ? Je souhaite à chacun de prendre le temps d'en savoir plus sur le bonhomme, au delà de son talent et de sa production : il existe un très chouette documentaire qui tourne autour de la vie incroyable de Willem, réalisé par Pierre-André Sauvageot, on y comprend mieux des choses que l'on savait (le Willem rédac-chef de feu Charlie Mensuel, le Willem fouineur et prescripteur ouvert sur le monde) et d'autres que l'on savait moins (j'ai été pour ma part assez marqué par des initiatives éditoriales comme le magazine Surprise lancé par Choron -et censuré sous Poniatowski-, aventure qui ne dura pas longtemps mais qui permit à tant de lecteurs héberlués de se manger du Bazooka, de l'Ever Meulen, et plein de ricains foufous célébrés par la suite...)

Willem est venu à plusieurs reprises à Besançon, et à chaque fois c'était un délice. Le bonhomme envoie chier ce qui l'emmerde, il est vivant et ça éclabousse, mais il peut parler du trait d'untel pendant une plombe en prenant le temps de donner des détails dingos, souvent en forme d'anecdote, qui ne font rien d'autre qu'apporter à chaque fois un peu plus d'ampleur au respect qu'on a envie de lui porter. Et puis sa modestie pourrait être partagée avec d'autres, tellement il en a en réserve, le bonhomme.

Les ronchons qui pensent que Willem est d'une autre époque et qui pleurent Otomo ou Moore sont risibles : le meilleur de ces types date au mieux du tournant du siècle dernier, et n'ont finalement guère brillé depuis (Ware mis à part, une fois encore - décidément). Willem a traversé un peu plus de décennies que ses compères d'un jour, mais son importance n'est pas moins éclatante que les autres.
Celles et ceux qui beuglent au scandale en étant persuadé que Willem est dépassé ou pas à sa place feraient bien d'aller gratter un peu du côté du hollandais au teint rosé (comme le pinard) : lui fait preuve, à son grand âge de papy croûton, de bien plus de curiosité et d'ouverture d'esprit qu'eux.
Willem grand prix ? Même si fondamentalement, je m'en tamponne des reconnaissances de ce type, je suis bien content, et encore davantage si ça fait chier de vieux réacs persuadés qu'il sont plus "dans le sujet" ou "dans l'instant" avec leurs préoccupations lorgnant du côté de l'évolution du support, versant numérique notamment.
Bravo Willem !

Bon, Angoulême, sinon.
J'ai vu plein de potes, plus que n'importe quelle autre année. Des lecteurs, des collègues libraires, des organisateurs et activistes divers, et puis des auteurs, des éditeurs. J'ai eu le privilège de partager de beaux instants avec certains de mes auteurs préférés, d'éditeurs éclairés, qui sont, après toutes ces années passées à "essayer de faire des trucs ici", devenus des copains, pour certains d'entre eux. Cette année, il y avait quelque chose de cool. Bon.
Angoulême, la carpe, le lapin, le bon grain, l'ivraie : un merdier pas possible avec des annonces à vomir, des événements dispensables au plus haut point, des célébrations dans la célébration, qui donnent envie d'aller se coucher tôt. Mais Angoulême, des gens intéressants à tous les coins d'allée, des rencontres improbables dans des rades improbables, des moments où il devient limpide pour chacun que cette saloperie de bande dessinée vaut la peine pour qu'on lui consacre autant, finalement.

Je suis dans le train qui me fait traverser notre beau pays d'ouest en est, et j'ai le dos pété après avoir couru d'une gare à l'autre avec un sac à dos gigantesque rempli à ras bord de fanzines, de revues, de bouquins divers et variés : c'est l'une des raisons principales de mon déplacement charentais (avec les pots avec les copains).


Quand j'arriverais chez moi ce soir, je pourrais bosser au mieux sur un chouette projet ayant déboulé ce weekend dans ma petite vie, un très chouette projet qui va me permettre de relier pas mal de choses très stimulantes pour moi.
Entre ça et la quatrième édition de Pierre Feuille Ciseaux qui se profile dans quelques mois (et dont on reparlera), cette année débute ma foi d'une manière bien plus enthousiasmante que la manière dont la précédente s'est terminée.
Hauts les cœurs !

Premier post-scriptum : j'ai failli oublier d'en parler, mais le palmarès de cette année me semble un peu foireux, mais pas pour les raisons habituelles... En vrac, de mon côté : "Quai d'Orsay" tome 2 m'a moins plu que le premier tome, et même s'il récompense un auteur parmi les plus talentueux qui soient, je persiste à penser qu'il n'en avait pas besoin pour briller, on peut imaginer qu'un prix pourrait aussi servir à ça... Raté ;  "Le Nao de Brown" m'a emmerdé au plus haut point, c'est la vie ; le bouquin de Jon McNaught paru chez NoBrow est très chouette graphiquement mais ne porte finalement pas grand chose, et reste pour moi le moins bons bouquin de cet auteur, et peut-être aussi de cette maison d'édition qui fait par ailleurs de jolis petits livres -et des leporello magnifiques- parfois un peu plus valables que pour leur simple gueule ; j'ai pas lu le bouquin de Pastor qui a eu le prix polar, et le prix jeunesse est vraiment un truc pas terrible du tout du tout, bon (ce sont des mômes qui votent pour le prix jeunesse non ?).
Je suis malgré tout très content pour l'ami Frederik Peeters, même si sa série primée reste pour moi bien moins essentielle que certains de ses précédents livres (et notamment sa série parue chez Atrabile, son éditeur "historique", que Peeters a d'ailleurs remercié, avec une gratitude perceptible pour chacun de ceux présents lors de cette remise de prix ; et ça c'est bien) ; je suis ravi aussi pour la clique de chez Misma (même s'ils ronflent très fort), c'est chouette ; voilà...


MAIS ! Et il y a un mais. Régulièrement, on ressort ce dossier sans jamais en faire des caisses, ce qui prouve l'importance finalement toute relative de ces prix. Mis à part la satisfaction et la reconnaissance auprès de l'auteur et de son éditeur, il faut reconnaître que rarement autre chose que le meilleur bouquin est demandé un peu plus en librairie. Les autres passent à la trappe d'un point de vue commercial, il ne faut pas se leurrer, mais peut-être que les chouettes "libraires" de chez Cultura changeront la donne ! Non je déconne. Spécial big up au directeur (commercial ?) de Cultura qui est monté sur scène et n'a pas prononcé le mot "livre" mais celui de... "produit". La classe, mec, changez rien chez Cultura.

Le MAIS, donc : alors que certains s'étonnent que certains anciens membres de l'académie ne connaissaient pas tous les "sélectionnés" après le vote des auteurs, j'ai une pensée émue pour les membres du jury qui ont déclaré de pas avoir pris le temps de lire des "trop gros bouquins, dans lesquels il est dur de rentrer". Moi je veux bien leur rentrer les dit-bouquins où je pense : les mecs, les meufs, vous avez des semaines pour lire une quarantaine de bouquins, le minimum ce serait de faire le taf.
La grosse honte sur vos gueules.
On connaît l'histoire : on projette probablement beaucoup trop sur une soi-disante académie, sur un soi-disant jury. C'est valable bien au delà du strict domaine de l'édition, me direz-vous, et vous aurez bien raison.
Pour le coup, les uns comme les autres, cette année, ne feront pas du palmarès quelque chose de très digne. C'est toujours un peu dommage, mais c'est pas comme si ces systèmes étaient réputés fiables, non plus.
Mais c'est surtout pour moi bien plus scandaleux que l'affaire Willem...

(addendum !) Second post-scriptum : les copains de chez Six Pieds Sous Terre m'ont gentiment proposé de contribuer à l'effort collectif qui concerne leur revue. Le dernier Jade (celui avec la magnifique couverture verte et noir signée Icinori) est le premier d'une série d'essais allant explorer au delà des habituels terrains de jeu de la dite revue. Pour ce premier élan tournant autour du nombril des libraires, j'y propose une conversation avec plusieurs de mes petits camarades de jeu, et les gens de Six Pieds ont gentiment accueilli quelques très chouettes nouveaux contributeurs.
Cette revue fait 80 pages, coûte dix boules, et vous pouvez la trouver ou la commander dans n'importe quelle librairie. Vos retours sont évidemment les bievenus ! Merci encore à eux !
Voilà qui est dit.

1 commentaire:

vin a dit…

bravo pour cet article! Tout ça est bien intéressant.